(Source : Les Echos Par Anne Bauer Publié le 15 juil. 2024 )
C'est un vieux serpent de mer de l'espace. Airbus et Thales seraient en discussion préliminaires en vue d'une éventuelle fusion de certaines de leurs activités spatiales, selon « La Tribune ». Chez Thales comme Airbus, les services de communication se refusent au moindre commentaire.
« L'espace est par nature une activité complexe et compétitive, qui concerne des produits sophistiqués et des programmes à long terme. Dans ce contexte, nous évaluons également toutes les options stratégiques pour nos activités spatiales, telles que les restructurations potentielles, les modèles de coopération, l'examen du portefeuille et les possibilités de fusion et d'acquisition », expliquait il y a trois semaines le président d'Airbus, Guillaume Faury.
L'hypothèse d'un rapprochement entre les deux plus grands constructeurs européens de satellites, qui souffrent chacun d'une insuffisance de commandes pour nourrir leurs équipes, est évidemment le premier scénario qui vient à l'idée dans le contexte actuel.
Conjoncture difficile
La branche spatiale de Thales , Thales Alenia Space (TAS), détenue par Thales pour 67 % et par Leonardo pour 33 %, a annoncé devoir supprimer quelque 1.300 emplois sur un effectif global d'environ 8.000 salariés dans sa branche spatiale. Un millier d'emplois doit être supprimé dans les usines historiques du groupe en France, à Cannes et à Toulouse. Du côté d'Airbus, les suppressions d'emplois n'ont pas encore été annoncées, mais toutes les équipes s'attendent à des annonces en septembre.
Airbus a annoncé une nouvelle provision de 900 millions d'euros dans les comptes 2024 en sus d'une provision de 600 millions déjà enregistrée en 2023, pour faire face aux pertes à venir des contrats pris entre 2018 et 2022. Rapporté à un maigre chiffre d'affaires de 2 milliards et quelque 12.000 salariés, l'ardoise est lourde.
Comme chez Thales, la conjoncture est sans doute suffisamment porteuse au sein des autres branches d'activité d'Airbus pour reclasser des employés sans opérer de licenciements secs.
Vieille histoire
Déjà tentée, jamais réalisée. La fusion des activités des deux entreprises de satellites est une histoire qui a déjà quelques épisodes. Plusieurs fois, le ministère des Armées en France s'est interrogé sur la nécessité d'avoir deux opérateurs qu'il faut mettre en concurrence et qu'il faut ensuite « alimenter » en commandes pour les maintenir à flot.
La Direction générale de l'armement a souvent plaidé qu'avec un seul opérateur et une offre standardisée, cela lui coûterait moins cher. A contrario, sans mise en compétition, la facture peut grossir, et la dépendance à un seul opérateur comporte aussi des risques, dans un secteur de souveraineté.
« Ensemble, les deux opérateurs pèsent un bon tiers du secteur spatial européen et ont d'énormes redondances, constate Pierre Lionnet, chez Eurospace, qui représente les acteurs spatiaux dans l'Union. Depuis longtemps, la politique des agences spatiales, et notamment de l'Agence spatiale européenne (ESA), a été de dupliquer les compétences chez les intégrateurs de satellites. En réunissant les deux acteurs, la compétition sur les programmes complexes et de grande aptitude serait réduite. »
Défi américain
La perception a changé. Face à la concurrence sans pitié des Américains et des Chinois, la politique spatiale européenne est remise en cause. Faute de permettre la constitution d'un champion européen, l'Europe, qui vient de retrouver l'accès à l'espace avec son lanceur Ariane 6 , pourrait aussi se voir barrer la route des constellations. La constellation de SpaceX, Starlink, fait la course en tête et n'a aucune intention de laisser la moindre miette de marché à qui que ce soit.
La tentation est donc forte de plaider à nouveau pour un champion européen du spatial et de possibles recompositions capitalistiques entre Airbus, Thales, Leonardo, voire OHB, qui vient d'introduire KKR dans son capital .